Trois jours passent, Ricardo part rejoindre Karen et ses filles qui l’attendent à Puerto Natales. Elles sont revenues en bus de leurs vacances et n’ont pas de voiture pour rejoindre l’Estancia après la traversée. Le vent rendant impossible toute traversée ils nous préviennent par téléphone qu’ils seront de retour le lendemain lorsque le vent se sera calmé. Au final, ils mettront 3 jours pour traverser.
Nous sommes maintenant 6, le rythme change, les discussions nous font progresser en espagnol et la météo est plutôt clémente! Tout roule!
Nous nous habituons aux commodités de l’endroit :
- l’électricité provient d’une éolienne (qui fait des siennes) et de panneaux solaires… Jusque 20h, heure où Ricardo allume le groupe électrogène, il n’y a donc pas d’électricité dans la maison.
- l’eau provient d’une source et d’un barrage en amont qui arrive ensuite jusqu’à un réservoir par le biais de canalisations (un bon kilomètre). La filtration est 100 % naturelle, mais pas 100% efficace. L’eau passe dans des graviers, des herbes, des plantes aquatiques et effectivement, l’eau que nous buvons n’est pas limpide mais plutôt brune et terreuse en bouche… La solution? Un peu de sirop pour cacher tout cela, et le tour est joué!
- Pour le chauffage et la cuisine, c’est du 2 en 1 : le tout est au bois avec ses avantages et inconvénients. Le four et les plaques de cuisson chauffent très (trop?) bien, mais en contre partie, il est impératif de prendre un torchon pour saisir la moindre casserole sous peine de brulures.
Nous diversifions un peu nos activités : Ben montera à cheval (pas de photo à l’appui, DECUE!!!), nettoiera le barrage (en vain) dans l’espoir d’avoir un eau plus claire (il a une passion cachée pour les barrages…), creusera de nombreux trous afin de réparer des enclos pour le bétail, ira couper du bois de pour le feu et les enclos, nous aideront Ricardo à séparer des vaches de différents âges, il y aura (pour ma part) du repiquage, désherbage, béchage, coupe d’herbes, nettoyage, arrosage, réparations de serres aidées de Ben. Et les jours de pluie, nous nous « amuserons » à détricoter des pulls, à retapisser un canapé.
Le constat est qu’ici tout prend du temps, que cela soit pour faire un nouvel enclos (aller en forêt, couper un arbre, travailler le bois, ramener le bois, faire le/les trous, clouer le tout…), soit pour « entretenir » l’éolienne ou le barrage, se chauffer et cuisiner. Tout est rapidement chronophage et le système D est de mise.
Bref, la vie suit son cours jusqu’au 15 novembre….
Il est 11h, Marité est dans la maison alors que moi je suis dans le jardin à retourner un lopin de terre depuis 2 bonnes heures. J’entends que l’on m’appelle. C’est Almendra, l’ainée des deux filles de Karen et Ricardo. Elle me dit très calmement que Marit’ veut me voir. Je vais donc, en prenant tout mon temps, jusqu’à la maison. Là, je découvre Marité la tête dans l’évier de la cuisine, elle tremble. Ricardo et Karen sont non loin avec des invités, et non rien vu de ce qu’il venait de se passer.
Je comprends vite qu’elle s’est brulée au visage… bien brulée! Elle a une partie du front et du nez qui a pellé quasiment instantanément. Je ne cherche même pas à savoir ce qu’elle a pu faire pour en arriver là, l’heure n’est pas au sermons ou aux explications. Je lui propose tout d’abord d’aller jusqu’à la salle de bain afin qu’elle puisse plus facilement mettre de l’eau froide sur ses plaies. Quelque peu paniquée, elle cherche à discuter, je lui impose, elle s’exécute. Pendant ce temps, j’informe Karen des événements et lui demande une bassine que je remplis d’eau froide. Hélas, et faute de mieux, l’eau n’est pas claire, pas cristalline : elle est terreuse, loin d’être idéal dans notre cas de figure. Une fois la bassine remplie, je la donne à Marité et elle commence à faire de longues apnées dans la bassine afin que l’ensemble de son visage soit immergé afin de calmer la douleur et d’arrêter la brulure. Ces apnées dureront au total prés de 3h… Je demande à Karen qu’elle partage sa connexion internet pour me permettre de contacter mon père, médecin, et ma mère, mère de famille et accessoirement infirmière. Intérieurement, à ce moment précis, j’ai peu d’espoir d’avoir une réponse rapide : ma mère a parfois quelques difficultés à utiliser son téléphone, qui est, la plupart du temps en mode silencieux ou éteint au fond de son sac. Mon père lui ne contrôle sa boite mail que quelques fois dans la journée.
Ma mère me donnera tort, normal me diriez-vous, une mère est faite pour donner tord à ces enfants! Sa réponse arrive dans les 2 minutes. Nous échangeons rapidement, elle nous indique ce que nous devons faire et notamment avoir de l’eau propre/désinfectée, « tiède sans être froide ». Hors, ici l’eau arrive directement d’une source et est bouillie puis refroidie avant d’être consommée. Bref, pour avoir cette eau désinfectée, il nous faudrait 15-20 minutes de chauffe, puis encore 20-30 minutes afin de refroidir le tout : impossible. Sans compter que l’eau, même désinfectée est terreuse. La situation est donc quelque peu compliquée …
Dans ce malheureux accident, nous aurons eu un peu de chance : nous avions de la vaseline, qui nous a été très utile pour graisser le visage de Marité, et le fait également qu’elle ai eu des lunettes. Ces dernières ont surement arrêté ou dévié une grande partie de l’eau bouillante de ses yeux. Ceci nous permettra d’éviter l’hôpital, qui est à 2h de route minimum du lieu où nous étions.
Marité a donc écopé de deux semaines d’interdiction de sorties (à cause du soleil et de la poussière), de pansements avec des corps gras afin d’hydrater-protéger la peau sous le contrôle et les conseils réguliers de mes parents. Enfin, elle héritera de différents surnoms, plus ou moins douteux, tel que « monstre » (à prononcer comme dans Quasimodo del Paris), « Double Face » (Batman Dark Knight de Christopher Nolan) ou encore « Le Limier » (Game Of Thrones), qui pour les deux derniers, ont été brulés de façon assez significative au visage.
Pour les explications « du comment du pourquoi », comme expliqué ci dessus, l’eau que nous buvons doit être bouillie dans des théières afin d’être désinfectée, refroidie, puis mise dans des cruches en verres. Depuis le début, Marité et moi placions ces théières dans lévier, dans un bain d’eau froide, durant 20-30 minutes afin d’accélérer l’abaissement de la température. Hors là, pour une raison inexplicable (hormis l’inattention la plus totale), Marité a directement mis une eau qui devait caresser les 150°C directement dans la cruche en verre, sans l’avoir préalablement fait reposer. Le résultat fut que la cruche en verre céda, et que l’eau fut projetée en l’air et au visage de notre apprentie cuisinière/fermière.
Bref, une erreur vraiment idiote qui aurait pu avoir des conséquences beaucoup plus grave!
PS : les champignons oranges sur l’arbre sont appelés « Digueñe ». L’arbre s’appelle le « Hualle » et donne ce champignon en guise de fruit. Bien que peu appétissant ils est comestible!